Mort aux vaches ?!

La probabilité d’un monde devenu totalement végane soulève de multiples interrogations. Dans cette hypothèse, que deviendraient les animaux destinés à nos assiettes, les prairies si riches en biodiversité et les paysages ? Autant de questions qui trouveront ici des éléments de réponses.

Durée de lecture : 15 min
Difficulté : accessible

SOMMAIRE
Un monde végane
Le pâturage, l’arbre qui cache la forêt ?
Ne nous coupons pas l’herbe sous le pied
Du pré au climax
Adieu veaux, vaches, cochons ?

Un monde végane

Un monde végane est possible !

Que vont devenir les animaux de rente si on abolit l’élevage ? Quelles transformations vont subir nos prairies si riches en biodiversité ? Bien que nous soyons encore très loin d’une société végane débarrassée de l’exploitation animale, ces questions reviennent de façon lancinante et témoignent d’une angoisse existentielle vis-à-vis d’un probable monde végane. Possiblement, aussi de façon à légitimer un mode de vie que l’on souhaite conserver et dont on peine à percevoir les limites. L’empreinte de l’élevage sur nos écosystèmes et nos vies est profonde, imaginer ce que pourrait être un monde sans exploitation animale demande de se projeter un minimum. Cet article propose de sortir des sentiers battus pour une balade, pas si utopique, dans ce que pourrait être ce « monde végane »…

Le pâturage, l’arbre qui cache la forêt ?

L’élevage dit traditionnel, bien que socialement mieux considéré et écologiquement plus acceptable que l’élevage industriel, n’est pas sans inconvénients. Les principaux étant le surpâturage, les émissions de GES, l’accaparement des terres (lié à la déforestation), les problèmes de sécheresse des prairies (en partie liés à la disparition des haies…), la pollution des eaux, des sols et la disparition des prédateurs, sans oublier le premier : le traitement imposé aux animaux.

Le surpâturage est une des principales causes de la dégradation des sols avec l’agriculture intensive, la déforestation, la pollution industrielle… Le surpâturage, qui a pour conséquence le piétinement des plantes, peut conduire à une chute dramatique de la biodiversité, à l’érosion et au tassement exagéré du sol. Tout bon jardinier sait pertinemment qu’une plante et ses racines s’épanouissent bien mieux dans un sol meuble et aéré. L’ensemble de ces processus conduisent souvent à une situation de désertification. Par exemple, en Mongolie, un pays grand comme trois fois la France, 80 % de la perte de végétation sont dus au surpâturage. Le document écrit par la géologue Michèle Evin, et partagé par d’autres écologistes, met en cause le surpâturage et démontre que la limite entre pâturage et surpâturage est souvent difficile à évaluer.

Concernant les émissions de GES, si une prairie est, en général, bien un puits de carbone tant qu’elle est maintenue en Europe, elle ne suffit cependant absolument pas à compenser les émissions dues aux animaux qui y paissent. « La compensation carbone en bovin viande va de 4 % en engraissement de jeunes bovins, à 41 % s’il s’agit de vaches allaitantes en pâturage. En élevage laitier, elle s’échelonne de 8 %, avec une alimentation comprenant plus de 30 % de maïs, à 49 % en système tout herbe. Enfin, dans un rapport publié en 2016, la FAO estime le potentiel de réduction mondiale à 30 %. L’institut de l’élevage (Idele) dans le visuel ci-dessous, confirme cette moyenne.

Infographie 1 : Gaz à effet de serre et changement climatique

L’accaparement de 90 % des terres agricoles (voir en page 16) pour nourrir le bétail à l’échelle planétaire — que ce soit par l’intermédiaire de pâturages, ou par celui de cultures dédiées au nourrissage de ce dernier — joue un rôle déterminant notamment en ce qui concerne la déforestation en Amazonie. « Si plusieurs facteurs sont responsables de cette déforestation massive, on estime que 65 % sont dus à l’élevage ». La culture du soja, du maïs et d’autres espèces végétales permettent aussi l’essor de secteurs économiques opportunistes, comme les agrocarburants qui se développent de concert à ces cultures destinées au bétail. Ces ensembles économiques renforcent l’accaparement des surfaces agricoles terrestres et l’exploitation des sols au détriment des forêts et donc de la vie sauvage. Les élevages aussi intensifs que les feed-lots, immenses exploitations d’engraissement de vaches pouvant aller jusqu’à 150 000 têtes, où les animaux sont parqués et entassés les uns sur les autres ne sont plus tolérables écologiquement parlant. Très répandu aux États-Unis, ce type d’élevage se développe désormais en Argentine, au Brésil, en Russie…

La sécheresse liée au changement climatique a sur l’élevage extensif une influence non négligeable concernant la qualité et la disponibilité des aliments et des fourrages. Dans le même temps, le secteur de l’élevage contribue de manière significative au changement climatique. De plus, la disparition de 70 % des haies majoritairement arrachées pour faciliter le travail des agriculteurs (remembrement) est très préjudiciable aux écosystèmes. L’effet brise-vent des arbres et arbustes évitait le dessèchement des sols tout en apportant de l’ombre, les racines retenaient la terre et purifiaient l’eau de ruissellement, l’érosion des sols était limitée. Elles étaient aussi un important vivier de biodiversité animale ; oiseaux, petits mammifères, papillons, reptiles, pollinisateurs, etc., s’y épanouissaient.

La pollution des eaux est aussi un problème important à considérer. En juin 2020, plusieurs associations écologistes alertées par une étude relative à la pollution des eaux ont pointé du doigt la production de comté. Ce fromage AOP produit artisanalement par 2 500 fermes nécessite toujours plus d’herbe pour soutenir efficacement la lactation des vaches. Or les engrais utilisés pour doper les sols ruisselleraient dans les rivières de la région qui se retrouveraient alors « asphyxiées par des algues ».

Notons aussi que les pâturages sont des milieux dans lesquels la présence des animaux sauvages n’est pas forcément la bienvenue. Ce n’est pas un hasard si les prédateurs et les compétiteurs y sont chassés. En France, la situation des loups et des ours est préoccupante, mais le même phénomène d’élimination d’animaux sauvages au profit des animaux d’élevage s’observe partout dans le monde. Cette logique qui consiste à chasser les animaux sauvages prédateurs ou compétiteurs des animaux d’élevage joue un rôle important dans la sixième extinction de masse en cours.

Pour que l’élevage soit bien plus « vertueux » en matière de GES et de pollutions, il faudrait le réduire à la seule exploitation d’herbivores en extensif. Et encore faudrait-il que les normes écologiques soient extrêmement contraignantes sur les pâtures permanentes avec des animaux uniquement nourris à l’herbe. Le tout en respectant des conditions bien spécifiques pour que la prairie joue son rôle de captation du CO2 à 100 % et qu’elle ne pollue pas les sols et les milieux aquatiques, comme nous venons de le voir. Ces contraintes et la diminution drastique de la production entraîneraient, de fait, une augmentation des prix. De plus, bien que les ruminants convertissent environ 2,7 milliards de tonnes de matière sèche d’herbe en protéines sur 2 milliards d’hectares de prairies — dont environ 700 millions pourraient être utilisés en tant que terres arables —, les impacts environnementaux de cette conversion sont immenses quelle que soit la méthode de production pratiquée aujourd’hui. En situation de crise, sécheresse, par exemple, les conséquences se révèleraient dramatiques comme on le constate déjà depuis plusieurs années. La tendance se confirmant, il y a fort à parier qu’à l’avenir ces épisodes deviennent notre quotidien. Les éleveurs seront donc constamment amenés à piocher dans leurs réserves de fourrage pour nourrir leurs bêtes, ce qui provoquera de façon épisodique, puis répétée, la flambée des prix. Autre répercussion : la carence en fourrage incitera certains agriculteurs à abattre davantage d’animaux et plus tôt que ne le prévoit leur calendrier.

La raréfaction de la nourriture carnée — prolongement logique du passage d’un élevage quasi intensif à un élevage exclusivement extensif — ne sera pas sans conséquences, dans notre monde capitaliste. L’élévation déjà démesurée du coût de la viande induite par le seul élevage extensif d’herbivores sera également amplifiée par les aléas climatiques récurrents ; il en résultera que la viande deviendra une nourriture élitiste réservée à ceux qui peuvent se l’offrir. De cette situation, deux choses découleront : un fort sentiment d’injustice et, la demande internationale suivant la courbe de la démographie et s’alignant sur la consommation de viande des Occidentaux, des appétits capitalistes en direction d’un accroissement de la production. De ces projections, on doit s’attendre à de très fortes tensions qui ne manqueront pas, tôt ou tard, d’aboutir à une réindustrialisation de l’élevage. Le nombre d’herbivores abattus en France et dans le monde est infime en comparaison des autres animaux (voir graphique ci-dessous). Même si l’on en optimise la production (voir Blanc bleu belge), elle restera de toute façon anecdotique, les terres agricoles n’étant pas extensibles à l’infini.

Infographie 2 : Animaux abattus en France en 2019

Ne nous coupons pas l’herbe sous le pied

Tout d’abord distinguons rapidement les différents types de prairies. Il existe des prairies artificielles, qui ont été semées, et des prairies naturelles composées et colonisées spontanément par des espèces autochtones. Il faut également faire la distinction entre les prairies permanentes qui sont implantées depuis plusieurs années et les prairies temporaires qui ne sont maintenues que quelques années. Enfin, les prairies peuvent avoir deux objectifs différents, parfois complémentaires : elles peuvent être soit pâturées, soit fauchées afin de stocker du fourrage pour l’hiver ou pour les animaux en stabulation.

Dans l’hypothèse d’une généralisation du véganisme, la raréfaction des animaux d’élevage laissera vacant un espace qui pourra être repeuplé par des animaux sauvages. Parmi les candidats potentiels à ce repeuplement, on peut citer, par exemple, chamois, bouquetins, chèvres sauvages, mouflons, cerfs, voire bovins ou chevaux dont on aurait organisé le retour à la vie sauvage. Sur la base d’une volonté politique, il est donc possible de reconstituer de larges troupeaux d’animaux sauvages sur les terres libérées de l’élevage. Une telle opération pourrait aider à préserver la biodiversité végétale et animale des prairies et pâturages. Par ailleurs, un office dédié à la gestion des milieux pourrait être créé au même titre qu’il existe déjà l’ONF destiné à la gestion des forêts françaises. Un tel organisme s’occuperait de la gestion des terres pâturées par ces troupeaux sauvages dans l’objectif d’y maintenir la biodiversité. En participant à ce nouveau service, certains éleveurs pourraient y transmettre leur savoir-faire tout en assurant leur reconversion. D’ailleurs, de telles missions sont déjà attribuées aux gestionnaires des réserves naturelles de France. Dans cette perspective, les pâturages existeront toujours puisqu’ils seront entretenus par des animaux soutenus ponctuellement et de façon minimale par l’être humain afin de garantir l’ouverture des milieux.

La disparition de l’élevage permettrait aussi d’éviter l’émission d’une très grande quantité de gaz à effet de serre, que ce soit du dioxyde de carbone, du méthane ou des gaz nitreux, de limiter considérablement l’usage de tous les biocides et de réduire de façon importante la déforestation comme on le voit dans cette étude. Cette réduction de la déforestation pourra freiner le changement climatique et ses conséquences comme les épisodes extrêmes de sécheresse que nous connaissons actuellement. On peut aussi anticiper un bilan très favorable en matière de GES si l’on quitte le modèle agricole actuel pour un scénario d’agriculture végane. En 2014, une étude menée au Royaume-Uni évaluait à un facteur deux la diminution de GES émis dans le cadre d’un scénario végane. Un chiffre confirmé par une étude italienne récente, datant de 2017 et par une méta-analyse compilant 63 études sur le sujet et montrant qu’une diminution de plus de 40 % des GES est envisageable dans le cadre d’un scénario végane. Les conclusions de la méta-analyse de J. Poore et T. Nemecek publiée dans Science sont sans appel. Elles démontrent que l’empreinte écologique des produits animaux à plus faible incidence dépasse toujours celle des protéines végétales prises dans leur ensemble ; et ce, que ce soit pour les émissions de GES, l’eutrophisation des milieux aquatiques, l’acidification (à l’exclusion des noix de cajou et amandes) et l’utilisation des terres.« Passer du régime alimentaire actuel à un régime qui exclut les produits animaux réduirait l’utilisation des terres arables de 19 %, l’acidification de 50 % (45 à 54 %), l’eutrophisation de 49 % (37 à 56 %) et les prélèvements d’eau douce pondérés par la rareté de 19 % (-5 à 32 %) ». Quoi qu’il en soit c’est a minima une réduction de 90 % de la consommation de viande qui serait souhaitable d’ici à 2050 comme le suggère cette étude parue en 2018.

Du pré au climax

Un milieu ouvert consiste en un biotope au couvert végétal de faible importance : les prairies et les pâtures en sont de bons exemples. Si les conditions sont favorables, ces écosystèmes ne restent pas figés. S’amorce alors ce qu’on appelle une succession écologique. Comme illustré dans la figure 1, des plantes arbustives s’installent progressivement, préparant le terrain aux arbres : le milieu s’obscurcit et les plantes basses disparaissent, on dit que le milieu se ferme et atteint le stade climax. Il s’agit là d’un phénomène tout à fait naturel, dont la dynamique est en soi porteuse d’une grande richesse en matière de biodiversité. À noter toutefois que le climax n’est plus considéré comme étant systématiquement l’état final d’un milieu, notamment parce que les grands herbivores peuvent modifier cette dynamique.

Climax : schéma de succession écologique
Figure 1 : Succession écologique (climax)

La clarté au sol permet le maintien d’une riche biodiversité végétale, tandis que la fermeture des milieux peut conduire à son appauvrissement. Il est souvent estimé que moutons, vaches et autres herbivores permettent de conserver les milieux ouverts. En réalité ces animaux préfèrent toujours consommer les plantes tendres et rechignent à dévorer les plantes dures et ligneuses. Ils ne luttent donc pas, ou peu, contre la fermeture des milieux. Ce sont les interventions humaines, en usant de moyens mécaniques ou de brûlis, qui permettent aux milieux pâturés de ne pas se refermer : les animaux n’entretiennent qu’à la marge un milieu qui a préalablement été ouvert par les hommes.

La fermeture des milieux est cependant une réalité qu’il faut prendre en compte, même si elle s’inscrit dans une logique de contrôle typiquement humaine. En France, le sujet est traité par des organismes dédiés comme les gestionnaires des réserves nationales des forêts et s’inscrit dans des programmes de réensauvagement. La présence d’animaux d’élevage pour entretenir ces milieux ouverts n’est donc pas nécessaire et le redéploiement de grands herbivores sauvages permettrait d’obtenir des résultats équivalents.

Ces grands herbivores réensauvagés devront certainement être régulés à terme. Il est donc pertinent que des espèces prédatrices soient elles aussi réimplantées. Contrairement aux politiques menées ces dernières années en France, les loups, bouquetins et ours, entre autres, ne seraient donc plus des espèces à combattre pour protéger l’élevage, mais des espèces alliées dans le cadre d’une politique de maintien des espaces ouverts. Une telle ambition garantirait alors la pérennité de ces espèces menacées sur notre territoire.

Bien que la régulation par les prédateurs ne soit pas « végane » au sens puriste du terme, il est important de rappeler ici que le but du véganisme est d’éviter la souffrance animale inutile — l’élevage en est un exemple — ou de la réduire au maximum s’il n’est pas possible de la faire disparaître.

La libération des surfaces accaparées par l’élevage peut donc donner lieu à deux évolutions distinctes : soit on laisse les forêts se développer à nouveau, soit on s’arrange pour conserver les prairies en place. De fait, il est vraisemblable qu’il soit plus intéressant d’opter pour l’une ou l’autre des options en privilégiant la biodiversité ou l’esthétique selon la richesse initiale du lieu. En ce qui concerne les surfaces que l’on choisira de garder ouvertes, prairies et pâturages alpins entre autres, le bilan GES sera nul et la présence d’un écosystème basé sur les grands herbivores et les prédateurs permettra d’entretenir une biodiversité maximale. En ce qui concerne les surfaces que l’on choisira de rendre à la forêt, le bilan carbone final sera favorable. Fort de ces observations, un scénario d’agriculture végane l’emporterait haut la main en matière de GES et de biodiversité par rapport au modèle actuel.

Adieu veaux, vaches, cochons ?

De façon très curieuse, et alors que les animaux d’élevage n’ont jamais été aussi nombreux sur cette planète, le développement du véganisme suscite par ailleurs l’angoisse de leur disparition, les contempteurs de ce dernier se souciant de leur éventuelle extinction dans le cas d’un monde végane. Derrière cette agitation, c’est souvent la potentielle perte de biodiversité qui est pointée du doigt et reprochée aux véganes. Même si cette « préoccupation » n’est pas vraiment pertinente, imaginons le jour où les effectifs d’animaux d’élevage auront sérieusement baissé et tentons d’apporter quelques éléments de réponse ou de réflexion sur le sujet.

Avant de commencer, il est tout de même important de préciser une chose : le concept de « race » chez les animaux d’élevage renvoie à un rang taxonomique inférieur à celui de l’espèce. La race présente donc bien moins d’intérêt que l’espèce. Il en résulte que la disparition d’une race inapte à la vie sauvage est bien moins problématique pour l’environnement que celle d’une espèce. Même si l’on peut déplorer une perte de biodiversité, on devrait surtout s’indigner d’un élevage qui crée des animaux souffrant de pathologies chroniques, dépendants de l’être humain et inaptes à la survie en milieu sauvage. Anne Lauvie, chargée de recherche en gestion territoriale des populations animales locales à l’INRA expliquait en juin 2019 dans un article pour la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, qu’« à travers le monde, 14 espèces animales produisent 90 % des protéines consommées par les humains […] D’après un rapport de l’INRA sur les races françaises menacées d’abandon pour l’agriculture datant de 2014, sur 179 races locales identifiées en France, 143 sont menacées. ». D’autre part, un tout petit peu moins de 60 % de la biomasse des mammifères terrestres est constituée par le bétail (porcs, bovins, ovins, caprins…), près de 36 % par les hommes et à peine plus de 4 % par les animaux sauvages… « Aujourd’hui, la biomasse humaine et celle du bétail — dominée par les bovins et les porcs — dépassent de loin celle des mammifères sauvages (voir figure 2). Cela est également vrai pour les oiseaux sauvages et domestiques, pour lesquels la biomasse des volailles d’élevage — dominée par les poulets — est environ trois fois plus élevée que celle des oiseaux sauvages. En fait, les humains et leur bétail l’emportent sur tous les vertébrés combinés, à l’exception des poissons. »

La répartition de la biomasse en fonction des groupes d'êtres vivants.
Figure 2 : La répartition de la biomasse en fonction des groupes d’êtres vivants sur Terre

Il s’ensuit qu’il y a 14,3 fois plus de mammifères dédiés à l’élevage sur la planète que de mammifères sauvages. En 2019, « sur les 28 000 espèces évaluées comme menacées d’extinction sur la Liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), l’agriculture et l’aquaculture étaient répertoriées comme une menace pour 24 000 d’entre elles. » Réduire considérablement les surfaces cultivées pour le nourrissage des animaux est donc un gage de biodiversité retrouvée.

À cette lecture, brandir l’étendard de la disparition de certaines races, voire de la biodiversité, pour défendre l’exploitation animale est un argument plus que spécieux. En admettant que certains éleveurs pensent vraiment participer à la pérennisation de la diversité, il s’agit pour eux, et avant tout, de s’assurer de la viabilité financière de leur exploitation. Comme toute entreprise, si elle ne profite plus ou pas suffisamment, elle arrête son activité. L’exploitation animale ne garantit donc pas l’hétérogénéité. C’est cet objectif de productivité qui a entraîné la pauvreté et l’uniformisation actuelle du cheptel auxquelles Anne Lauvie fait référence ci-dessus.

Le maintien de races d’animaux d’élevage hypertrophiées et trop fragilisées par des décennies de sélections génétiques ne présente pas d’autre intérêt que celui du productivisme. A contrario, pour les races assez robustes, on pourrait envisager leur retour à la vie sauvage, avec une assistance par sélection génétique si nécessaire, ou le développement liminaire de ces animaux.

Les exemples d’animaux domestiques retournés à l’état sauvage ne manquent pas. On appelle ça le marronnage ou la féralisation. La Corse est d’ailleurs un territoire riche d’animaux dédomestiqués vivant en toute liberté : vaches, cochons, chèvres, ânes, chevaux, etc. Chez les bovidés, l’existence de races bovines sauvages, semi-sauvages ou rustiques, comme la Betizu dans les Pyrénées ou la Vache Corse, est la preuve que cette espèce animale ne disparaîtra pas si on lui laisse les espaces naturels adéquats pour vivre. En Allemagne, des sélections génétiques ont conduit à la formation de l’Auroch de Heck qui est suffisamment robuste pour vivre à l’état sauvage. Ce dernier a été réintroduit avec succès, notamment dans la réserve de Oostvaardersplassen aux Pays-Bas. Cela démontre que la préservation des races d’animaux d’élevage n’est pas du tout incompatible avec un scénario végane.

On notera également que certains animaux d’élevage ont toujours leurs équivalents sauvages : c’est par exemple le cas des cochons, moutons et chèvres, avec les sangliers, mouflons, chèvres sauvages et bouquetins. L’intérêt d’organiser le retour à la vie sauvage de ces races d’animaux d’élevage trop fragiles et qui sont issus de ces animaux sauvages est inexistant. Cependant on pourrait envisager leur cohabitation liminaire avec les êtres humains dans le cadre des parcs et espaces verts qui agrémentent l’espace urbain. Moutons, cochons et divers animaux de basse-cour pourraient y trouver un espace propice à leur épanouissement, sous le couvert de la bienveillance humaine. Une telle évolution permettrait aussi le maintien d’un lien entre animaux et humains.

Pour conclure, nous avons donc vu dans un premier temps que, contrairement aux craintes que beaucoup manifestent, un « monde végane » pourrait tout à fait garantir la pérennisation des prairies selon les besoins locaux, ainsi que la conservation de certaines races susceptibles de s’adapter à la vie sauvage. Ensuite, l’hypothèse d’un réensauvagement de la faune et de la flore semble une piste pertinente et recevable, même si d’autres scénarios sont possibles.

Ce qui mettra tout le monde d’accord, c’est la nécessité d’un changement radical dans nos modes de vie afin de limiter au maximum notre empreinte écologique. Par ailleurs, en créant une gastronomie végétale, le véganisme opère un véritable changement de paradigme : depuis toujours, dans l’imaginaire collectif, la viande à table est un idéal à atteindre. Cet absolu, qui a eu sa raison d’être, il nous faut dorénavant le déconstruire. D’ailleurs, pour le chef Joël Robuchon, il ne fait aucun doute que « la cuisine végétarienne sera celle des dix prochaines années ».

Autrices

Article corédigé EB, DP et FP.

Crédits

Photo de couverture

Photo 1 d’Egor Kamelev sur Pexels.com

Figure 1 : Succession écologique de Florence Dellerie

Figure 2 : La répartition de la biomasse en fonction des groupes d’êtres vivants sur Terre de Planet-vie

Infographie 1 : Gaz à effet de serre et changement climatique de l’Idele

Infographie 2 : Animaux abattus en France en 2019 d’Agreste

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6 réflexions sur “Mort aux vaches ?!

    1. Concernant les GES: si certains élevages compensent jusqu’à 50% des GES émis, ou apparaissent ces sequestrations dans les « bilans » GES de l’élevage? Il n’y est fait mention que des émissions. En comparaison, quelle automobile ou quelle usine peut compenser dans son propre fonctionnement 50% de ses emissions? Pourquoi ne pas encourager les bonnes pratiques, au lieu de promouvoir l’abolitionnisme.
      Concernant celui-ci, le problème n’est pas de faire croire que la disparition des races d’elevage impacterait la biodiversité déjà mal en point. Le problème, c’est que des gens prétendent d’un coté « sauver », « libérer » des animaux du joug de l’exploitation et de l’autres considèrent la disparition planifiée de ces individus sans que ca leur pose de problème moral outre mesure (ca n’est pas du laisser faire: c’est un génocide définitif et programmé en connaissance de cause) . Est-ce que la stérilisation forcée des femmes africaines pour éviter la surpopulation participe a leur émancipation? Est-ce que les programmes de castration des populations roms ou juives étaient un mal nécessaire pour parvenir a un monde plus juste? En quoi ne serait il pas spéciste de décimer des populations, uniquement sur le critère de leur appartenance a des espèces d’elevage? Et de quel droit, sinon de celui du plus fort, l’envisager seulement? C’est un paradoxe extrêmement glissant qui rend, a mon avis, la démarche abolitionniste caduque et la disqualifie. A tel point qu’il est généralement mis sous le tapis, au profit d’hypothétiques solutions de « sanctuaires » (stérilisation forcée a l’entrée: le paradis et la liberté…) qui coûteraient l’equivalent du budget annuel de la défense américaine pour maintenir en vie un cheptel equivalent a l’existant sans aucune exploitation et donc sans aucun bénéfice. Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. La cancel culture capitaliste US fournit le ciment.

      Aimé par 1 personne

      1. Bonjour, merci pour l’intérêt que vous avez porté à cet article.
        Pour les émissions de GES il est fait mention de ces séquestrations dans le premier chapitre:
        « Concernant les émissions de GES, si une prairie est, en général, bien un puits de carbone tant qu’elle est maintenue en Europe, elle ne suffit cependant absolument pas à compenser les émissions dues aux animaux qui y paissent. « La compensation carbone en bovin viande va de 4 % en engraissement de jeunes bovins, à 41 % s’il s’agit de vaches allaitantes en pâturage. En élevage laitier, elle s’échelonne de 8 %, avec une alimentation comprenant plus de 30 % de maïs, à 49 % en système tout herbe. Enfin, dans un rapport publié en 2016, la FAO estime le potentiel de réduction mondiale à 30 %. L’institut de l’élevage (Idele) »

        Ensuite dans cet autre paragraphe vous pouvez consulter des études sur le sujet très complétes qui je penses répondront à vos questions:
        « La disparition de l’élevage permettrait aussi d’éviter l’émission d’une très grande quantité de gaz à effet de serre, que ce soit du dioxyde de carbone, du méthane ou des gaz nitreux, de limiter considérablement l’usage de tous les biocides et de réduire de façon importante la déforestation comme on le voit dans cette étude. Cette réduction de la déforestation pourra freiner le changement climatique et ses conséquences comme les épisodes extrêmes de sécheresse que nous connaissons actuellement. On peut aussi anticiper un bilan très favorable en matière de GES si l’on quitte le modèle agricole actuel pour un scénario d’agriculture végane. En 2014, une étude menée au Royaume-Uni évaluait à un facteur deux la diminution de GES émis dans le cadre d’un scénario végane. Un chiffre confirmé par une étude italienne récente, datant de 2017 et par une méta-analyse compilant 63 études sur le sujet et montrant qu’une diminution de plus de 40 % des GES est envisageable dans le cadre d’un scénario végane. Les conclusions de la méta-analyse de J. Poore et T. Nemecek publiée dans Science sont sans appel. Elles démontrent que l’empreinte écologique des produits animaux à plus faible incidence dépasse toujours celle des protéines végétales prises dans leur ensemble ; et ce, que ce soit pour les émissions de GES, l’eutrophisation des milieux aquatiques, l’acidification (à l’exclusion des noix de cajou et amandes) et l’utilisation des terres.« Passer du régime alimentaire actuel à un régime qui exclut les produits animaux réduirait l’utilisation des terres arables de 19 %, l’acidification de 50 % (45 à 54 %), l’eutrophisation de 49 % (37 à 56 %) et les prélèvements d’eau douce pondérés par la rareté de 19 % (-5 à 32 %) ». Quoi qu’il en soit c’est a minima une réduction de 90 % de la consommation de viande qui serait souhaitable d’ici à 2050 comme le suggère cette étude parue en 2018. »

        Concernant la disparition de certaines races d’animaux, le problème moral qui se joue serait plutôt le fait de n’exister que pour être asservi puis abattu. Ne pas naître ne pose pas de problème moral, sauf pour certains fanatiques religieux comme les « survivants » avec leur rhétorique « sur le droit à la vie de ceux qui ne sont pas nés ».
        On ne peut avoir » d’intention » envers ceux qui n’existent pas.
        Donc le reste de votre raisonnement est hors sujet.
        Cordialement.

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  1. Pour ce qui est de la gestion des prairies, énormément d’organisme achète des terrains dans des zones natura 2000 par exemple afin de mettre en place des systèmes de gestion pour la consnervation de la biodiversité. Vous avez cité les RN mais la LPO, les ENS des communes ou bien encore les fédé de chasse ou de pêche font de même. Seul soucis, et pas des moindres, bien souvent que ce soit en RN ou par d’autres acteur, seul la fauche tardive et des méthodes de fauches (sens de fauche, outil pour effrayé) sont mis en place.

    Ce que je veut dire par là c’est qu’on fait déjà pas mal mais toujours dans une optique d’élevage en considérant, que sans l’élevage il n’y a pas de conservation de ses espaces sensible…

    C’est bien évidemment faux et j’espère qu’un jour nous arriverons à nous mettre d’accord sur ce point.

    C’était ma petite contribution, merci pour cet article ^^

    Aimé par 1 personne

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